En avril 2007, est sortie une nouvelle traduction anglaise du Coran. Il
en existe déjà une bonne vingtaine, mais celle-ci a suscité des
controverses avant même sa publication. D’une part, la traductrice est
une Américaine convertie au soufisme. D’autre part, la traduction remet
en cause l’interprétation classique de certains versets, en s'appuyant sur la raison.
“La première traduction du Coran par une Américaine.” Cela suffit déjà
à susciter la curiosité pour ce volume, publié sous le titre The
Sublime Quran. En septembre 2008 sera publiée une édition bilingue
arabe-anglais.
Laleh Bhaktiar est née aux Etats-Unis, fille d’un médecin iranien et
d’une infirmière américaine. De mère presbytérienne, elle devint
catholique à l’âge de 8 ans. Elle épousa un architecte iranien, avec
lequel elle émigra en Iran. Elle suivit les cours de Seyyed Hossein
Nasr, célèbre spécialiste d’études islamiques, qui vit aujourd’hui aux
Etats-Unis et exerça sur elle une influence décisive dans son
cheminement en l’introduisant au soufisme. Elle se convertit à l’islam
en 1964, à l’âge de 24 ans. Divorcée et désargentée, elle demeura
plusieurs années en Iran après la Révolution islamique, travaillant
notamment dans le domaine de la traduction, avant de retourner
finalement aux Etats-Unis en 1988 et d'y reprendre des études. Auteur
de plusieurs livres, dont Sufi Women of America: Angels in the Making
(Chicago, Kazi Publications, 1996), elle voit son rôle comme celui d’un
pont entre culture américaine et monde musulman. Elle n’a pas une
formation d’islamologue, mais de psychologue. Elle est à l’origine d’un
Institut de psychologie traditionelle. Elle vit à Chicago.
Dans l’idée de rendre le texte plus accessible à des lecteurs
occidentaux, elle a pris le parti de traduire Moïse et Jésus sous les
noms connus, au lieu de conserver Moussa et Issa. Elle évite également
des termes polémiques, comme celui d’“infidèle”.
C’est particulièrement la question de la traduction du verset 4:34 qui
a suscité l’attention des médias. Il fait allusion à la punition
qu'auraient le droit d'exercer des époux sur leurs femmes
désobéissantes et est généralement traduit ainsi:
"Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que
Dieu leur a accordées sur elles, et à cause des dépenses qu'ils font
pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont pieuses: elles
préservent dans le secret ce que Dieu préserve. Admonestez celles dont
vous craignez l'infidélité; reléguez-les dans des chambres à part et
frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous
obéissent." (trad. Denise Masson, revue par Sobhi el-Saleh)
Ce verset, en particulier le passage que nous avons mis en évidence,
qui semble justifier la violence physique envers les femmes, est
souvent considéré souvent comme embarrassant dans le contexte
contemporain. Il est généralement expliqué comme un reflet des
conditions sociales de l’époque de révélation du texte, ou est
considéré comme non applicable aujourd'hui. D’autres auteurs soulignent
que la lapidation pour différentes fautes est prévue par la Bible, et
que l’on n’en tire pas pour autant des conséquences sur l’application
de cette pratique dans le judaïsme ou le christianisme contemporain.
Pour Laleh Bhaktiar, soutenir que le Coran donne le droit à l’homme de
battre sa femme dans certaines circonstances équivaut rien moins qu’à
dénigrer l’islam (The Times, 31 mars 2007). Elle avoue avoir buté sur
ce verset durant des semaines, et avoir presque renoncé à poursuivre
son entreprise de traduction à cause de ce passage.
Mais son approche de la traduction du Coran se veut fondée sur l’usage
de la raison. Puisque ce passage qui autoriserait les hommes à battre
leurs femmes dans certaines circonstances lui paraît contredire tout ce
que l'on connait du comportement du Prophète (qui n'aurait jamais
frappé une femme), c'est donc que l'interprétation en est erronée,
estime-t-elle. Après de longues réflexions, Bhaktiar découvrit dans un
dictionnaire que le mot arabe utilisé dans ce passage pouvait également
signifier non pas "frapper", mais "s'éloigner". Le Coran donnerait donc
simplement l’ordre de “s’éloigner” de sa femme dans des situations
conflictuelles, ce qui pourrait en effet être cohérent avec l'idée de
laisser la femme dans une chambre à part. Bhaktiar conclut que le terme
a tout simplement été interprété de travers depuis des siècles. Elle
estime en outre que, à l'heure où l'on s'efforce de venir en aide aux
femmes battues, une telle révision vient à point.
Il faut évidemment noter que cette traduction ne fait pas l'unanimité. Mais l'auteur a eu le mérite d'attirer l'attention sur la violence faite aux femmes au nom du Coran. Une lecture littérale du Coran peut laisser penser qu'il autorise l'escalvage ou la violence à l'égard des femmes. Mais sous la pression de la modernité, très rares sont ceux qui assument aujourd'hui d'autroiser l'escalavage ou la violence aux femmes. Plusieurs traducteurs soulignent par exemple que le verset en question
connote une punition légère, pas plus d’un seul coup, ou lui assignent
un rôle symbolique, comme Muhammad Asad dans son commentaire.
The Sublime Quran
Editeur: Kazi Publications, Chicago.
Auteur:
Laleh Bhaktiar
Et vous, qu'en pensez-vous? N'hésitez pas à réagir.